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Département de Géographie

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Le Havre : trajectoires et politiques urbaines (partie 2)


Ce dossier a été réalisé par Guillaume Frecaut, Louise Haran, Francesco Massimo, Thibaut Meynieu, Hélène Millet et Claire Salles

II - Des politiques urbaines qui dépassent le cadre strict du Havre : des logiques surtout exogènes ?

 
Les politiques urbaines menées au Havre ne se limitent pas à l’échelle intra-urbaine. C’est en effet une ville qui cherche à s’arrimer à la métropole parisienne et à la vallée de la Seine, tout en développant son influence à l’échelle de l’estuaire et de sa région. Par ailleurs, elle est à la recherche d’une visibilité européenne.
 

 1. Le Havre, port de Paris ? Grand Paris et Axe Seine

L’arrimage du Havre à l’agglomération parisienne s’effectue dans un premier temps sous l’impulsion de l’Etat, dans le cadre de l’appel à projet international lancé par Nicolas Sarkozy en 2007. C’est le projet de l’équipe de l’architecte-urbaniste Antoine Grumbach, intitulé « Seine Métropole » (voir figure 5), qui s’est distingué de ses concurrents : c’est en effet le seul qui propose de dépasser les limites de l’agglomération parisienne et de considérer la Seine, jusqu’au Havre, comme l’axe majeur d’un développement futur. Ainsi, lors de sa visite au Havre, le 16 juillet 2009, Nicolas Sarkozy a déclaré : « Faisons enfin le choix stratégique que nous dicte la géographie : le Havre, c’est le port du Grand Paris et la Seine est l’axe nourricier autour duquel la métropole a vocation à s’ordonner. » Ces quelques mots soulignent de manière très claire la logique exogène qui préside au désir d’une meilleure participation du Havre à la dynamique métropolitaine de Paris : le Havre est perçu comme le « port de Paris », c’est-à-dire comme une périphérie de l’agglomération parisienne dont il serait bon de renforcer les liens avec ladite agglomération.
 
 
Figure 5 - Le projet “Seine Métropole” d’Antoine Grumbach
(Source : Grumbach & associés, 2009)
 
Les élus normands, dont les différents maires du Havre, ont cependant marqué depuis les années 1960 une forte opposition à l’idée de voir leur région considérée comme la grande banlieue de Paris (Saunier, 2010). Antoine Rufenacht, maire du Havre de 1995 à 2010, a ainsi fait en sorte de sortir sa ville du rôle passif que semblait préfigurer un projet uniquement mené par l’Etat : peu à peu, les acteurs havrais ont repris la main.Dès avril 2009, en effet, Antoine Rufenacht jette les bases du projet « Axe Seine » avec Bertrand Delanoë, maire de Paris et Valérie Fourneyron, maire de Rouen. Partant du constat que la vallée de la Seine représente 15 millions d’habitants, 1/3 du PIB national, 20% de l’emploi industriel de la France et 40% des chercheurs du pays (source : site internet du projet Axe Seine), ces trois maires souhaitent que ce potentiel soit exploité au maximum dans un effort commun et coordonné. Des colloques permettant à différents acteurs peu habitués à coopérer (à cause notamment de la rivalité entre Le Havre et Rouen) sont dès lors organisés au Havre en mai 2010 et à Rouen en mai 2011.
 
Outre l’ouverture d’un espace de dialogues, le projet « Axe Seine » a permis des réalisations concrètes. Ainsi, à l’issue d’un colloque en mai 2010, Antoine Rufenacht, Laurent Fabius (président de la Communauté d’agglomération Rouen-Elbeuf-Austreberthe) et Bertrand Delanoë réclament la création d’une ligne à grande vitesse entre Paris et les deux Normandie (la LNPN, Ligne Nouvelle Paris-Normandie, actuellement au stade des enquêtes préalables). Ce projet a aussi permis aux ports du Havre, de Rouen et de Paris de se regrouper au sein du Groupement d’Intérêt Economique HAROPA. Les agences d’urbanisme de ces différentes villes ont quant à elles pu produire plusieurs études communes et développer un marketing territorial commun dans le cadre du projet « Normandy Avenue ». Les Chambres de commerce et d’industrie, rassemblées au sein du projet « Paris-Seine-Normandie » ont entrepris de fédérer les acteurs économiques (site internet du projet Axe Seine). Au travers de ces réalisations, c’est donc l’hinterland du Havre qui s’organise.
 

 2. Le Havre, acteur clé d’une nouvelle région Normande ?

L’intégration du Havre aux enjeux de développement de la capitale a provoqué l’émergence d’une nouvelle scène de gouvernance, d’échelle régionale : avec le projet d’Antoine Grumbach, s’opère en effet la prise de conscience qu’il existe un intérêt commun à l’échelle de la Normandie. De là ont peu à peu émergé une méthodologie et une culture du projet communes à ces acteurs, qui ont eu des retombées pratiques autant qu’institutionnelles. Ainsi, les Chambres du Commerce et de l’Industrie de Hausse et Basse Normandie se sont regroupées sous l’appellation commune “CCI Normandie”, les agences d’urbanisme se sont elles aussi mises à travailler ensemble dans le cadre du projet HAROPA et enfin une coopération universitaire, dans le cadre des actuelles COMUE (Communautés d’Universités et d’Etablissements), a été signée en 2011. Les dynamiques territoriales qui ont agité le territoire depuis 2007 ont ainsi été l’occasion de faire émerger des espaces de dialogue et des scènes de gouvernance qui se sont ensuite pérennisées. Peu à peu, le décalage entre fonctionnement territorial et découpage institutionnel tend en effet à se réduire pour faire apparaître une nouvelle structure territoriale, plus proche des enjeux et des mobilités contemporaines. La loi Cazeneuve, actuellement en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale, devrait faire émerger une future région “Normandie”. Il est évident que le Havre a tout intérêt à éviter un face-à-face “en solitaire” avec Paris, et que la ville doit penser son positionnement au sein d’un réseau urbain normand, véritable enjeu de développement.
 
Néanmoins, cette nouvelle structuration connaît également des limites quant à son développement. D’une part, les projets sont confrontés à un contexte de réduction des dépenses publiques qui retarde leur mise en place, voire les disqualifie. Par exemple, le projet LNPN, a été reporté par le rapport “Mobilité 21” (juillet 2013), qui revoit les priorités en matière de grandes infrastructures.
 
 
Figure 6 - La LNPN connecterait les centres des grandes villes normandes et Paris
 
D’autre part, les oppositions et la concurrence entre les villes normandes n’ont pas pour autant disparu, et chacune cherche à se positionner le plus stratégiquement possible vis-à-vis des autres, pour prendre le leadership. On le lit dans le débat qui commence à émerger au sujet de la capitale de la future région Normande, dans lequel la sénatrice Catherine Morin-Desailly (UDI) a tenu la position suivante : "Afin de veiller à une répartition équilibrée des pouvoirs, je milite pour que les services de l’Etat soient installés à Rouen, le conseil régional à Caen et le Ceser au Havre." La structuration du réseau urbain est difficile, et ne se fait pas sans rivalités ni même quelques inimitiés : il ne faut pas oublier que ces enjeux dépendent aussi d’une politique partisane (grossièrement le Havre de droite contre Rouen de gauche) qui ne simplifie pas toujours les coopérations.
 
 

3. Une ville Européenne et Verte ?

Afin de renforcer la structuration de l’hinterland du Havre, l’Agence d’urbanisme de la région du Havre et de l’estuaire de la Seine (AURH) a lancé en 2011 la démarche « Seine Gateway », en partenariat avec des acteurs tels que les grands ports maritimes du Havre et de Rouen, les régions de Haute et Basse Normandie ou les autres agences d’urbanisme de l’axe Seine. Suivant l’exemple du Pacific Gateway nord-américain, de l’Extended Gateway (Anvers, Flandre Belge) ou du Thames Gateway anglais, ces différentes entités envisagent de « créer un vaste circuit dédié au transport de marchandises et à la logistique, grâce à un socle multimodal, fondé sur le fluvio-maritime, le fer et la route, et d’organiser un fonctionnement en réseau autour des ports de Paris, Rouen et Le Havre » (site de l’AURH). Selon le rapport “Seine Gateway 1.0”, ce gateway pourra être structuré par un hub (le Havre), une ville-monde (Paris) et par l’appareil productif de la vallée de la Seine. Le projet fonde beaucoup de ses espoirs sur la réalisation de la LNPN, le renforcement de l’intégration portuaire à l’échelle de l’axe Seine ou encore le renforcement des liens avec l’hinterland européen et le foreland mondial. Ce projet n’a pour le moment conduit qu’à la rédaction d’un rapport, mais représente tout de même un enjeu de visibilité européenne pour la ville du Havre.
 
La ville semble vouloir se positionner comme une ville portuaire d’ambition européenne, voire internationale. A ce titre, les efforts réalisés pour intégrer la ville au port, et inversement, sont autant de tentatives de lier la dynamique du port aux trajectoires urbaines havraises. Derrière ce choix, ce n’est rien moins qu’un modèle urbain particulier que cherche à définir le Havre, qui se distingue du modèle nantais (le port transformé en espace urbain et résidentiel) ou de celui de Rotterdam (qui a un trafic bien supérieur). Ainsi, la ville tend à créer sa propre définition de la ville portuaire et veut apparaître comme un nouveau territoire de la transition énergétique, en combinant identité industrielle et grands principes du développement durable (Lavaud Lettilleul, 2012) : l’obtention du label “énergie d’avenir” ou encore la certification ISO 14001 pour la zone de transit de déchets en sont les indices.
 

CONCLUSION

Le Havre, du fait de sa situation stratégique, prétend à un renforcement de son rôle à l’échelle européenne et mondiale, via des politiques de développement d’un port marqué depuis une quarantaine d’années par un déclin relatif. Cette orientation trouve un écho à l’échelle régionale, le Havre se posant de manière croissante en acteur clé de la Normandie, et impulsant la structuration du réseau urbain. A une plus grande échelle, la ville s’attelle également à réinvestir son passé industriel, notamment avec une politique touristique volontaire, à travers la réhabilitation des quartiers ouvriers et des anciennes infrastructures portuaires, et la mise en valeur du centre-ville. Cette tentative de redynamisation passe également par des projets urbains visant à reconvertir les quartiers les plus en difficulté, et à attirer une population aisée.
 
Mais si ces politiques tracent la voie d’un renouveau, les défis restent de taille : le Havre doit se repositionner à toutes les échelles. L’ambitieux projet de couloir séquanien ne doit pas faire oublier l’importante concurrence d’autres ports européens ; les projets régionaux se heurtent à des enjeux de concurrence ; la définition d’une politique d’agglomération n’est pas encore aboutie ; enfin, la restructuration sociale et spatiale de la ville représente un changement de trajectoire de taille. Ainsi, le Havre mise sur un marketing territorial actif et prometteur, mais qui trouve ses limites en termes de réalisation.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

BRENNETOT A., BUSSI M., GUERMOND Y., “Le Grand Paris et l’axe Seine”, Métropoles, 13/2013 (disponible en ligne : http://metropoles.revues.org/4788)
 
BOQUET M., 2009, “Ségrégation et transformation urbaine : quelle évolution de l’espace havrais ?”, Mappemonde n°95, 3/2009
 
GRAVARI-BARBAS M., 2004, “Patrimonialisation et réaffirmation symbolique du centre-ville du Havre. Rapports entre le jeu des acteurs et la production de l’espace, Annales de Géographie, t.113, n°640, pp 588 - 611
 
GRUMBACH A. et alii, 2009, Seine Métropole, Paris Rouen Le Havre
LAVAUD LETTILLEUL V., 2012, “L’aménagement portuaire en débat. Point de vue d’acteurs sur les grands projets d’équipement portuaire du littoral français”, Norois
 
SAUNIER F., 2010, Histoire d’une pionnière, 1965-2010, L’agence d’urbanisme de la région du Havre et de l’Estuaire de la Seine, éditions des falaises
 
Rapport de la mission partenariale Seine Gateway, 2012, Seine Gateway 1.0, Préfiguration du Gateway de la Seine et éléments clefs de la mise en œuvre
 
Site de la ville du Havre : http://www.lehavre.fr
Site de l’AURH : http://www.aurh.fr/
Site de la communauté d’agglomération : http://www.codah.fr
Site du projet Grande Seine 2015 : http://www.grandeseine2015.fr
Site du GIE HAROPA : http://www.haropaports.com
Site de Normandy Avenue : http://www.normandyavenue.fr

 

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