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Département de Géographie

École normale supérieure

On observe malgré tout une recolonisation progressive du milieu par les divers peuplements. Certes, les espèces anciennes reviennent mais elles ne s’organisent plus du tout comme dans le milieu naturel.

En 1971, cinq ans après l’ouverture du barrage, Dinard lance des études sur la Rance qui aboutissent à la conclusion que la recolonisation a duré environ dix ans, variant selon les modalités de reproduction des espèces.

La réponse du milieu : une lente reconquête

La réponse du milieu s’est opérée en deux temps :

  •  une phase de recolonisation : dix ans
  •  une phase de stabilisation des peulpements (depuis 1976 environ)

Le développement d’espèces résistantes : le cas des moules

À la suite du bouleversement du milieu naturel, des espèces dites opportunistes se sont développées dans le lit de la Rance, en particulier les moules et les invertébrés qui à l’ouverture du barrage ont colonisé tous les fonds. Ce développement est à l’origine de nouvelles activités économiques.

Cependant, il ne s’agit que de certaines espèces de moules, et pas par exemple de la moule perlière dont l’évolution de la population constitue un bon indice de pollution. L’eutrophisation du milieu a provoqué la prolifération d’algues vertes qui elles aussi contribuent à accélérer la sédimentation du cours d’eau, d’où une baisse de débit par m3 puisque le niveau de l’eau est plus haut. Le courant est affaibli, et la température a augmenté ce qui provoque à nouveau une eutrophisation.

A contrario, la quantité de poissons a baissé. Il reste aujourd’hui 30% de la population d’avant le barrage. Les anguilles ont été particulièrement affectées : elles désormais absentes de l’estuaire ainsi que les poissons plats. Ainsi, la pêche au lançon a pratiquement disparu alors que le lançon a une place importante dans les réseaux trophiques marins et constitue un bon témoin de la qualité de l’eau. Il reste cependant les bars et les lieus. « Depuis le barrage, ce n’est plus pareil ! » constate, désabusé, André Bourges, ancien de la marine marchande qui a bourlingué sur toutes les mers du globe et pris sa retraite dans son village natal, à Saint-Suliac. « Il y a beaucoup moins de maquereaux et de margates (seiches). En revanche, il y a beaucoup plus de vase et d’algues... » .

Un nouvel écosystème riche

Pourtant, le nouvel écosystème est riche : 110 espèces d’annélides, 47 de crustacés (contre 44 avant), 70 de poissons, des céphalopodes, etc. Il semble qu’il y ait plus d’espèces qu’avant, en particulier sur les grèves artificielles. De plus, les mouvements d’eau ont conduit à créer un équivalent de mer artificielle au milieu de l’estuaire : on trouve entre 0 et 8 mètres des espèces pélagiques qui n’existaient pas auparavant et qu’on trouve en baie de Saint-Malo entre -20 et +13 mètres. Ceci conduit les biologiste à dire qu’on a en réalité la création de deux milieux différents à partir d’un unique milieu d’origine.
Si on a plus d’espèces, cela ne veut pas dire qu’on a plus d’individus qu’avant le barrage : certains espèces ont perdu plus du tiers de leur population. Mais l’absence d’inventaires précis d’avant 1960 rend impossible toute comparaison rigoureuse.

Un barrage perméable à la vie

De gros organismes venant du large franchissent le barrage sans dommage vers le bassin fluvial. En revanche le franchissement vers l’aval est quasiment impossible. Chaque printemps, des « raisins de la mer » (pontes de seiche en grappe) sont ainsi retrouvés dans la Rance, ce qui indique que leurs géniteurs ont passé le barrage.

Des mammifères de grande taille ont également pénétré en amont du barrage. Un phoque a passé le barrage par l’écluse à deux reprises ; arrivé en 2000, l’animal a été ramené en 2001 en baie du Mont dont il est revenu en une semaine. En 2008 ce furent six dauphins de Risso dont trois jeunes, aperçus, en amont du barrage.

Ces dauphins ne se nourrissent que de céphalopodes dont les jeunes ne consomment que les têtes. Les animaux ont pu passer le barrage à la suite d’un banc de seiches et seraient entrés par le vannage. Six portes de 6x15 m s’ouvrent deux fois par jour et le barrage est alors facile a franchir.
 

Ces exemple peuvent paraître anecdotiques mais ils soulèvent un véritable problème : celui de la circulation des organismes. Quels taux de blessure et de mortalité y a-t-il pour les organismes, petits ou gros qui tentent de passer le barrage ? De plus, les petits organismes doivent aussi être considérés bien que leur mortalité soit plus difficile à mesurer par manque de visibilité.

S’il est possible de traverser le barrage vers l’amont, le fonctionnement automatique des vannes ne permet pas le passage vers l’aval. Piloté par ordinateur, le barrage fonctionne la plupart du temps en simple effet : les vannes ne s’ouvrent alors qu’en fin de remplissage, deux fois par jour. En double effet les portes sont ouvertes lors de la vidange. En fonctionnement simple effet la seule voie de passage vers l’aval du barrage est les turbines. Il est donc impossible aux gros organismes de repasser le barrage.

La perméabilité du barrage à la vie est toute relative dans la mesure où faut organiser des battues et piloter manuellement le barrage pour y faire repasser les dauphins. Celle-ci est coûteuse car elle exige des moyens humains importants et un arrêt du fonctionnement du barrage.
 
 Il est en principe interdit de pêcher sur un ouvrage d’art, ce qui n’est pas respecté sur le barrage. Lors du passage dans les turbines les bancs de petits poissons sont explosés ; la formation en bancs qui constitue leur protection disparaît. La prédation des goélands, bars et maquereaux est intense devant et derrière le barrage selon la phase de la marée. L’intensification de la prédation par les turbines n’est pas quantifiable, mais elle est conséquente.

Les conséquences économiques

La construction du barrage a fortement perturbé les activités de pêche. Les pêcheurs ne travaillent plus avec l’heure de la mer mais doivent planifier leur sorties 48 heures à l’avance en fonction du niveau d’eau dans le bassin et des horaires correspondants.

Il est aussi difficile aux marins de s’adapter aux contraintes de circulation imposées par l’ouverture et la fermeture de l’écluse et les possibilités offertes par le niveau d’eau dans le bassin. De même, la pisciculture subi de fortes des contraintes.

Le bassin de la Rance offre toujours des conditions particulières qui favorisent la pêche : eaux abritées, eaux relativement profondes, souvent renouvelées donc bien oxygénées. De fait, après avoir détruit ces activités, on les a recrées sur de nouvelles bases.

La technique des cages flottantes est par exemple bien adaptée à la production des salmonidés. La pêche concerne aujourd’hui de nouvelles espèces : les bars et les lieux ont ainsi remplacé les poissons plats. On trouve aussi des activités de pêche à la coquille en plongée avec bouteille, ainsi qu’à l’huître plate sauvage (seul site en France). On développe enfin l’algoculture.

Bilan

En définitive, le barrage sur la Rance est lourd de conséquences environnementales sur l’estuaire. Dans ce cadre, l’association COEUR Emeraude a mis en place des dispositifs qui visent à instaurer une meilleure gestion du barrage et des risques environnementaux qu’il induit.

Se pose ici la question de savoir si le changement est positif ou non : c’est une question à laquelle les biologistes ne peuvent pas répondre. Il y a eu catastrophe écologique mais aussi renouveau de l’estuaire. Savoir quel état est le plus désirable relève du point de vue de la société et non de la science qui peut simplement constater la succession de deux états de l’estuaire, très riches en biodiversité, mais très différents.

Contact

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Directeur des études
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