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Département de Géographie

École normale supérieure

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Quel bilan pour cette écologie industrielle ?


L’efficacité des politiques environnementales précédemment décrites doit être en outre discutée. Si les efforts du GPMH sont réels, ils ne sont pas toujours à la hauteur des ambitions de l’écologie industrielle décrite dans le projet HAROPA. La politique du GPMH est très centrée sur la stratégie du troc spatial, plus aisée à mettre en place et délaisse d’autres leviers d’action pourtant cruciaux. D’autres acteurs n’interviennent pas ou sont très en retrait.

Photographie ci-dessous. Le terminal conteneur, Port 2000. Cliché : M. Messador, 2014

Les limites du troc spatial

La réduction des rejets dans les eaux estuariennes n’est par exemple pas prise en charge ni même mesurée. Pourtant, dans un milieu aquatique, où les courants et les flux jouent un rôle décisif dans le maintien des écosystèmes des marais, cette question est de taille. Un rapport du Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEED)pointe ainsi l’absence de prise en charge du problème des rejets atmosphériques liés aux industries.

De plus, la pratique du troc spatial n’est pas toujours satisfaisante ou ne répond pas aux objectifs initiaux. Ainsi, afin de ménager un espace de frayage aux poissons, un méandre artificiel a été aménagé : celui-ci sert toutefois davantage aux oiseaux, et les poissons désertent la zone à cause de la présence de ces prédateurs.

Parfois, la pratique du troc spatial est tout simplement mal réalisée, puisque certaines « réserves » naturelles se trouvent sur le tracé des oléoducs.

Photographie ci-dessous. Industries sur la commune de Gonfreville-l’Orcher. Cliché : Marion Messador, 2014

Le troc spatial ne permet pas non plus de réduire les risques pour les sociétés et l’environnement. Avec 20 sites classés au plus haut seuil par la directive Seveso dans l’aire urbaine du Havre, dont certains situés à l’immédiate proximité des bassins, l’estuaire de la Seine est une région de risques industriels forts. En la matière, le troc spatial ne fait que déplacer les problèmes mais ne les résout pas.

Enfin, on observe de fortes divergences entre les acteurs ce qu’il convient de faire (ou de ne pas faire). Alors que les installations industrielles lourdes (raffineries) ont déjà fortement modifié le paysage, le refus d’installer près de la zone portuaire des éoliennes, pourtant envisagées, sous prétexte de « dénaturer le paysage estuarien ».

Les problèmes théoriques de la pratique de la compensation

La compensation obéit à la volonté de réduire les « inégalités écologiques » (Laigle, 2004) en valorisant des espaces conjointement à la détérioration d’autres zones. Le troc spatial est réalisé, et c’est une spécificité française des politiques environnementales, de façon annexe à la lutte contre les inégalités sociales. Dans le cas de l’estuaire de la Seine, les politiques de protection des milieux doivent, conformément aux directives de l’État, assurer l’accès de tous, dans une optique d’égalité territoriale, au milieu naturel. Dans le cas du Havre, il n’est pas certain qu’une telle approche soit opérante puisque ce que l’on veut protéger est, au fond, assez mal défini. De plus, la faible implication des habitants de l’estuaire dans la mise en place de ces politiques d’aménagement fait du troc spatial une politique de plus en plus artificielle, certes consensuelle mais pas toujours adaptée.

La question du marketing territorial 

Evrard et Féménias (2011) évoquent, à la fin de leur article sur les ambivalences de la ville du Havre comme cité estuarienne et cité portuaire, la lassitude que peut ressentir l’écologue à la sortie du Grenelle de l’Estuaire : pour celui-ci, les ambitions écologiques du port du Havre ainsi que les pratiques du troc spatial ne servent que de vernis masquant les vrais problèmes et évitant de chercher de nouvelles solutions. Ce serait donc un argument au service du marketing territorial. D’ailleurs, le port apparaît de plus en plus comme un complément touristique à la découverte des zones de marais : y sont organisées des visites guidées, voire même des croisières de découverte. L’espace Port Center, conçu comme un centre de documentation sur le port, possède une salle où sont retransmises les images en temps réel des reposoirs à oiseaux artificiels, ce qui donne au visiteur l’impression d’être dans un observatoire ornithologique.

Le maintien d’espaces verts ou laissés en herbe au sein même du Port 2000 montre les mêmes ambivalences. Ceux-ci permettent le retour d’une faune et d’une flore à proximité des infrastructures portuaires (hérons, grues, fréquentation de sangliers.) Ils ne suffisent toutefois pas à masquer des tensions entre les écologues (sans parler des écologistes) et les représentants du port, en désaccord sur le processus de protection et sur les objectifs qu’il doit remplir. Les écologues-écologistes expliquent en fait que, en dépit des procédures qui leur permettent d’être représentés, ils n’ont dans les faits pas les moyens de faire balancer les décisions du port, dont la direction tend à faire « ce qu’elle veut » (sic, propos recueilli sur place) lorsqu’elle se conforme aux impératifs de la législation environnementale pour éviter tout problème juridique.

L’environnement devient quoi qu’il en soit une ressource : la municipalité du Havre met ainsi en valeur la double identité de la ville, portuaire et estuarienne, en intégrant dans son mobilier urbain des éléments rappelant les roselières et les marais. La démarche écologique menée dans l’estuaire de la Seine est donc aussi motivée par la recherche de visibilité ce qui ne signifie pas qu’elle est efficace en profondeur mais permet au moins de la maintenir.

Photographie ci-dessous. Fontaine en centre-ville du Havre. Cliché : Marion Messador, 2014

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