En 1987, les Nantais assistent à la mise à l’eau du Bougainville, dernier navire à sortir des chantiers Dubigeon. Ce départ est vécu comme une rupture symbolique : la Loire devient à partir de ce moment, un espace délaissé, marqué par un lourd passé.
Aujourd’hui, la gestion du fleuve par l’aménagement de l’île se caractérise par un investissement considérable, au nom du développement durable et culturel.
Nous avons vu que la Loire avait pris une place centrale dans l’aménagement urbain depuis les années 2000, via la réhabilitation de l’île. Cependant, plus qu’une simple rénovation physique, les pouvoirs publics veulent aussi recentrer symboliquement Nantes sur son fleuve : il faut que les Nantais retrouvent un attachement à leur fleuve, que la Loire redevienne un principe d’identification.
La reconquête symbolique du fleuve passe par trois processus principaux.
Nantes est depuis très longtemps inscrite dans l’estuaire de la Loire : le commerce triangulaire fonctionnait par l’estuaire et, plus tard, à l’âge industriel, les liens étaient forts entre Nantes et le port de Saint-Nazaire, créé au XIXe siècle. Aujourd’hui, les projets pour connecter la ville de Nantes à l’estuaire de la Loire s’orientent dans deux directions principales.
L’approche urbanistique à Nantes reproduit les changements actuels de représentations, voire de nouveaux modèles de développement urbain. D’une part, on retrouve les questions de la gestion de flux : les échanges, la vie économique, le travail, les emplois, etc.. ; et d’autre part, le développement des projets autour de l’environnement, du loisir, du cadre de vie, entre autres.
L’émergence des enjeux socio-écologiques est indubitablement le moteur des démarches de reconquête du fleuve. En réalité, les opérations de réappropriation des cours d’eau se déroulent dans plusieurs villes d’Europe et d’ailleurs. En France, ce type de démarche est adopté dès les années 1980 et la ville de Nantes est souvent citée comme pionnière dans ce type de démarche d’aménagement du fleuve (Bonin, 2007). L’attention portée à la Loire est représentatif d’une prise en compte de la nature dans les espaces de friches industrielles au bord du fleuve, qui étaient jusque lors désignés comme des « paysages en crise » (Masboungi, 2003).
En effet, les motifs à l’origine des principes de réaménagement des espaces fluviaux partent des enjeux économiques et territoriaux, plutôt que d’une reconnaissance des valeurs écologiques de la Loire en tant que nature en ville à préserver. Cependant, ces intérêts socio-économiques convergent en combinant à la fois la valorisation paysagère et le potentiel écologique local. Ces relations à la valeur écologique participent à la sensibilisation de la population (Roger, 1997). Pour ne citer qu’une exposition, la « Rives de Loire » a contribué à renouer des liens avec les « espaces de crise », par le biais de nouveaux usages, des nouvelles complémentarités entre ville-fleuve ainsi qu’au développement du projet « Île de Nantes ». L’aménagement des accès au fleuve ou des passages piétons le long des berges sont actuellement travaillés par la collectivité locale pour que ces espaces soient reliés à la Loire, tant physiquement que symboliquement.
La Loire semble finalement jouer un double rôle dans l’aménagement de Nantes : d’une part, celui d’une ressource matérielle et fonctionnelle en elle-même, et d’autre part, celui d’une ressource immatérielle, esthétique, associée à la vie quotidienne de la population. De fait, le paysage urbain représenté par la Loire reproduit la volonté d’assurer un développement économique soucieux des milieux « naturels ». Ainsi, le paysage urbain, plus que le fleuve, apparaît en définitive comme un bien collectif qu’il faut valoriser sur le plan symbolique et récréatif.